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dument embrassées ; il allait, impassible et sombre, sous une pluie de mouchoirs et de fleurs. La vicomtesse Olive, crispée à son cou, n’en put être détachée et le calme héros l’emporta flottante sur sa poitrine comme une écharpe légère.

Quand l’audience qu’il avait dû suspendre fut reprise, le président appela les experts.

L’illustre expert en écriture, Vermillard, exposa le résultat de ses recherches.

— Ayant étudié attentivement, dit-il, les papiers saisis chez Pyrot, notamment ses livres de dépense et ses cahiers de blanchissage, j’ai reconnu que, sous une banale apparence, ils constituent un cryptogramme impénétrable dont j’ai pourtant trouvé la clé. L’infamie du traître s’y voit à chaque ligne. Dans ce système d’écriture ces mots « Trois bocks et vingt francs pour Adèle » signifient : « J’ai livré trente mille bottes de foin à une puissance voisine ». D’après ces documents j’ai pu même établir la composition du foin livré par cet officier : En effet, les mots chemise, gilet, caleçon, mouchoirs de poche, faux-cols, apéritif, tabac, cigares, veulent dire trèfle, paturin, luzerne, pimprenelle, avoine, ivraie, flouve odorante et fléole des prés. Et ce sont là précisément les plantes aromatiques qui composaient le foin odorant fourni par le comte Maubec à la cavalerie pingouine. Ainsi Pyrot faisait mention de ses crimes dans un langage qu’il croyait à jamais