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veston gris, et tenait les mains jointes derrière le dos.

— Je laisse, dit-il avec calme et d’une voix peu élevée, je laisse à monsieur Colomban la responsabilité d’un acte qui a mis notre pays à deux doigts de sa perte. L’affaire Pyrot est secrète ; elle doit rester secrète. Si elle était divulguée, les maux les plus cruels, guerres, pillages, ravages, incendies, massacres, épidémies, fondraient immédiatement sur la Pingouinie. Je m’estimerais coupable de haute trahison si je prononçais un mot de plus.

Quelques personnes connues pour leur expérience politique, entre autres M. Bigourd, jugèrent la déposition du ministre de la guerre plus habile et de plus de portée que celle de son chef d’état-major.

Le témoignage du colonel de Boisjoli fit une grande impression :

— Dans une soirée au ministère de la guerre, dit cet officier, l’attaché militaire d’une puissance voisine me confia que, ayant visité les écuries de son souverain, il avait admiré un foin souple et parfumé, d’une jolie teinte verte, le plus beau qu’il eût jamais vu ! « D’où venait-il ? » lui demandai-je. Il ne me répondit pas ; mais l’origine ne m’en parut pas douteuse. C’était le foin volé par Pyrot. Ces qualités de verdeur, de souplesse et d’arôme sont celles de notre foin national.