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militaires. Ils regardaient les grands et les petits juifs comme des adversaires irréductibles. Leurs principes n’étaient point en jeu, leurs intérêts n’étaient point engagés dans cette affaire. Cependant, ils sentaient, pour la plupart, combien il devenait difficile de demeurer étranger à des luttes où la Pingouinie se jetait tout entière.

Les principaux d’entre eux se réunirent au siège de leur fédération, rue de la Queue-du-diable-Saint-Maël, pour aviser à la conduite qu’il leur conviendrait de tenir dans les conjonctures présentes et les éventualités futures.

Le compagnon Phœnix prit le premier la parole :

— Un crime, dit-il, le plus odieux et le plus lâche des crimes, un crime judiciaire a été commis. Des juges militaires, contraints ou trompés par leurs chefs hiérarchiques, ont condamné un innocent à une peine infamante et cruelle. Ne dites pas que la victime n’est pas des nôtres ; qu’elle appartient à une caste qui nous fut et nous sera toujours ennemie. Notre parti est le parti de la justice sociale ; il n’est pas d’iniquité qui lui soit indifférente.

» Quelle honte pour nous si nous laissions un radical, Kerdanic, un bourgeois, Colomban, et quelques républicains modérés poursuivre seuls les crimes du sabre. Si la victime n’est pas des nôtres, ses bourreaux sont bien les bourreaux