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des Boscénos sortait, en compagnie de quelques patriotes, d’un cabaret à la mode, M. de la Trumelle, lui désignant un petit homme à binocle, barbu, sans chapeau, n’ayant qu’une manche à son habit, et qui se traînait péniblement sur le trottoir jonché de débris :

— Tenez ! fit-il, voici Colomban !

Avec la force, le prince avait la douceur ; il était plein de mansuétude ; mais au nom de Colomban son sang ne fit qu’un tour. Il bondit sur le petit homme à binocle et le renversa d’un coup de poing dans le nez.

M. de la Trumelle s’aperçut alors, que, trompé par une ressemblance imméritée, il avait pris pour Colomban M. Bazile, ancien avoué, secrétaire de l’association des antipyrots, patriote ardent et généreux. Le prince des Boscénos était de ces âmes antiques, qui ne plient jamais ; pourtant il savait reconnaître ses torts.

— Monsieur Bazile, dit-il en soulevant son chapeau, si je vous ai effleuré le visage, vous m’excuserez et vous me comprendrez, vous m’approuverez, que dis-je, vous me complimenterez, vous me congratulerez et me féliciterez quand vous saurez la cause de cet acte. Je vous prenais pour Colomban.

M. Bazile, tamponnant avec son mouchoir ses narines jaillissantes et soulevant un coude tout éclatant de sa manche absente :