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que ces défenseurs du traître étaient soudoyés par les grands juifs ; on les flétrit du nom de pyrotins et les patriotes jurèrent de les exterminer. Il n’y avait que mille ou douze cents pyrotins dans la vaste république ; on croyait en voir partout ; on craignait d’en trouver dans les promenades, dans les assemblées, dans les réunions, dans les salons mondains, à la table de famille, dans le lit conjugal. La moitié de la population était suspecte à l’autre moitié. La discorde mit le feu dans Alca.

Or, le père Agaric, qui dirigeait une grande école de jeunes nobles, suivait les événements avec une anxieuse attention. Les malheurs de l’Église pingouine ne l’avaient point abattu ; il restait fidèle au prince Crucho et conservait l’espoir de rétablir sur le trône de Pingouinie l’héritier des Draconides. Il lui parut que les événements qui s’accomplissaient ou se préparaient dans le pays, l’état d’esprit dont ils seraient en même temps l’effet et la cause, et les troubles, leur résultat nécessaire, pourraient, dirigés, conduits, tournés et détournés avec la sagesse profonde d’un religieux, ébranler la république et disposer les Pingouins à restaurer le prince Crucho dont la piété promettait des consolations aux fidèles. Coiffé de son vaste chapeau noir, dont les bords étaient pareils aux ailes de la Nuit, il s’achemina par le bois des Conils vers l’usine