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d’indignation, lui jetaient des regards menaçants qu’il supportait avec le calme que donnent le courage et la myopie. Tandis que sur ses talons les concierges et les boutiquiers arrachaient ses affiches, il allait traînant son attirail et suivi par les petits garçons qui, leur panier sous le bras et leur gibecière sur le dos, n’étaient pas pressés d’arriver à l’école : et il placardait studieusement. Aux indignations muettes se joignaient maintenant contre lui les protestations et les murmures. Mais Colomban ne daignait rien voir ni rien entendre. Comme il apposait, à l’entrée de la rue Sainte-Orberose, un de ses carrés de papier portant imprimé : Pyrot est innocent, Maubec est coupable, la foule ameutée donna les signes de la plus violente colère. « Traître, voleur, scélérat, canaille », lui criait-on ; une ménagère, ouvrant sa fenêtre, lui versa une boîte d’ordures sur la tête, un cocher de fiacre lui fit sauter d’un coup de fouet son chapeau de l’autre côté de la rue, aux acclamations de la foule vengée ; un garçon boucher le fit tomber avec sa colle, son pinceau et ses affiches, du haut de son échelle dans le ruisseau et les Pingouins enorgueillis sentirent alors la grandeur de leur patrie. Colomban se releva luisant d’immondices, estropié du coude et du pied, tranquille et résolu.

— Viles brutes, murmura-t-il en haussant les épaules.

Puis il se mit à quatre pattes dans le ruisseau