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par une lettre volée, que les quatre-vingt mille bottes de foin n’avaient jamais existé, qu’un gentilhomme des plus distingués, le comte de Maubec, les avait vendues à l’État, qu’il en avait reçu le prix, mais qu’il ne les avait jamais livrées, attendu que, issu des plus riches propriétaires fonciers de l’ancienne Pingouinie, héritier des Maubec de la Dentdulynx, jadis possesseurs de quatre duchés, de soixante comtés, de six cent douze marquisats, baronnies et vidamies, il ne possédait pas de terres la largeur de la main et qu’il aurait été bien incapable de couper seulement une fauchée de fourrage sur ses domaines. Quant à se faire livrer un fétu d’un propriétaire ou de quelque marchand, c’est ce qui lui eût été tout à fait impossible, car tout le monde, excepté les ministres de l’État et les fonctionnaires du gouvernement, savait qu’il était plus facile de tirer de l’huile d’un caillou qu’un centime de Maubec.

Les sept cents pyrots ayant procédé à une enquête minutieuse sur les ressources financières du comte de Maubec de la Dentdulynx, constatèrent que ce gentilhomme tenait ses principales ressources d’une maison où des dames généreuses donnaient à tout venant deux jambons pour une andouille. Ils le dénoncèrent publiquement comme coupable du vol des quatre-vingt mille bottes de foin pour lequel un innocent avait été condamné et mis en cage.