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était révélé son crime à la Pingouinie chrétienne ; car ces choses, étant cachées, revêtaient un caractère mystique et prenaient l’autorité des vérités religieuses. Les sept cents pyrots se mirent à l’œuvre avec autant de zèle que de prudence et firent secrètement des recherches approfondies. Ils étaient partout ; on ne les voyait nulle part ; on eût dit que, comme le pilote d’Ulysse, ils cheminaient librement sous terre. Ils pénétrèrent dans les bureaux de la guerre, approchèrent, sous des déguisements, les juges, les greffiers, les témoins de l’affaire. C’est alors que parut la sagesse de Greatauk : les témoins ne savaient rien, les juges, les greffiers ne savaient rien. Des émissaires parvinrent jusqu’à Pyrot et l’interrogèrent anxieusement dans sa cage, aux longs bruits de la mer et sous les croassements rauques des corbeaux. Ce fut en vain : le condamné ne savait rien. Les sept cents pyrots ne pouvaient détruire les preuves de l’accusation, parce qu’ils ne pouvaient les connaître et ils ne pouvaient les connaître parce qu’il n’y en avait pas. La culpabilité de Pyrot était indestructible par son néant même. Et c’est avec un légitime orgueil que Greatauk, s’exprimant en véritable artiste, dit un jour au général Panther : « Ce procès est un chef-d’œuvre : il est fait de rien ». Les sept cents pyrots désespéraient d’éclaircir jamais cette ténébreuse affaire quand tout à coup ils découvrirent,