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de mer nommé La Crique, formé de trois petites anses, autrefois fréquentées des navires, maintenant ensablées et désertes ; des lagunes recouvertes de moisissures s’étendaient tout le long des côtes basses, exhalant une odeur empestée, et la fièvre planait sur le sommeil des eaux. Là, s’élevait au bord de la mer une haute tour carrée, semblable à l’ancien Campanile de Venise, au flanc de laquelle, près du faîte, au bout d’une chaîne attachée à une poutre transversale, pendait une cage à claire voie dans laquelle, au temps des Draconides, les inquisiteurs d’Alca mettaient les clercs hérétiques. Dans cette cage, vide depuis trois cents ans, Pyrot fut enfermé, sous la garde de soixante argousins qui, logés dans la tour, ne le perdaient de vue ni jour ni nuit, épiant ses aveux, pour en faire, à tour de rôle, un rapport au ministre de la guerre, car, scrupuleux et prudent, Greatauk voulait des aveux et des suraveux. Greatauk, qui passait pour un imbécile, était, en réalité, plein de sagesse et d’une rare prévoyance.

Cependant Pyrot, brûlé du soleil, dévoré de moustiques, trempé de pluie, de grêle et de neige, glacé de froid, secoué furieusement par la tempête, obsédé par les croassements sinistres des corbeaux perchés sur sa cage, écrivait son innocence sur des morceaux de sa chemise avec un cure-dents trempé de sang. Ces chiffons se per-