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— Ce doit être Pyrot !

Un matin, le général Panther, chef d’état-major, instruisit Greatauk d’une affaire grave. Quatre-vingt mille bottes de foin, destinées à la cavalerie, avaient disparu ; on n’en trouvait plus trace.

Greatauk s’écria spontanément :

— Ce doit être Pyrot qui les a volées !

Il demeura quelque temps pensif et dit :

— Plus j’y songe et plus je me persuade que Pyrot a volé ces quatre-vingt mille bottes de foin. Et où je le reconnais, c’est qu’il les a dérobées pour les vendre à vil prix aux Marsouins, nos ennemis acharnés. Trahison infâme !

— C’est certain, répondit Panther ; il ne reste plus qu’à le prouver.

Ce même jour, passant devant un quartier de cavalerie, le prince des Boscénos entendit des cuirassiers qui chantaient en balayant la cour ;

Boscénos est un gros cochon ;
On en va faire des andouilles,
Des saucisses et du jambon
Pour le réveillon des pauv’ bougres

Il lui parut contraire à toute discipline que des soldats chantassent ce refrain, à la fois domestique et révolutionnaire, qui jaillissait, aux jours d’émeute, du gosier des ouvriers goguenards. À cette occasion, il déplora la déchéance morale de l’armée et songea avec un âpre sourire que son