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Ces rumeurs exaltaient les moines fanatiques, ravissaient les gentilshommes pauvres, contentaient les riches dames juives et mettaient l’espérance au cœur des petits marchands. Mais bien peu d’entre eux étaient disposés à acheter ces bienfaits au prix d’une catastrophe sociale et d’un effondrement du crédit public ; et ils étaient moins nombreux encore ceux qui eussent risqué dans l’affaire leur argent, leur repos, leur liberté ou seulement une heure de leurs plaisirs. Au contraire les ouvriers se tenaient prêts, comme toujours, à donner une journée de travail à la république ; une sourde résistance se formait dans les faubourgs.

— Le peuple est avec nous, disait le pieux Agaric.

Pourtant à la sortie des ateliers, hommes, femmes, enfants, hurlaient d’une seule voix :

À bas Chatillon !
Hou ! hou ! la calotte !

Quant au gouvernement, il montrait cette faiblesse, cette indécision, cette mollesse, cette incurie ordinaires à tous les gouvernements, et dont aucun n’est jamais sorti que pour se jeter dans l’arbitraire et la violence. En trois mots, il ne savait rien, ne voulait rien, ne pouvait rien. Formose, au fond du palais présidentiel, demeurait aveugle, muet, sourd, énorme, invisible, cousu dans son orgueil comme dans un édredon.