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çaient à s’imprimer moins profondément dans les poitrines ; on se reprenait à respirer.

— Vous voyez bien que nous finirons par sortir, dit ce bon géant avec un doux sourire. Patience et longueur de temps…

Il tira un cigare de son étui, le porta à ses lèvres et frotta une allumette. Soudain il vit à la clarté de la flamme la princesse Anne, sa femme, pâmée dans les bras du comte Cléna. À cette vue, il se précipita sur eux et les frappa à grands coups de canne, eux et les personnes qui se trouvaient alentour. On le désarma, non sans peine. Mais on ne put le séparer de son adversaire. Et, tandis que la princesse évanouie passait, de bras en bras, sur la foule émue et curieuse, jusqu’à sa voiture, les deux hommes se livraient à une lutte acharnée. Le prince des Boscénos y perdit son chapeau, son lorgnon, son cigare, sa cravate, son portefeuille bourré de lettres intimes et de correspondances politiques ; il y perdit jusqu’aux médailles miraculeuses qu’il avait reçues du bon père Cornemuse. Mais il asséna dans le ventre de son adversaire un coup si formidable, que le malheureux en traversa un grillage de fer et passa, la tête la première, par une porte vitrée, dans un magasin de charbon.

Attirés par le bruit de la lutte et les clameurs des assistants, les gardes de police se précipitèrent sur le prince, qui leur opposa une furieuse