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ralenties, lui envoyaient, en passant, des baisers, au milieu des hourrahs d’un peuple en délire.

Un jour, comme il entrait dans un bureau de tabac, deux Pingouins qui mettaient des lettres dans la boîte, reconnurent Chatillon et crièrent à pleine bouche : « Vive l’émiral ! À bas les chosards ! » Tous les passants s’arrêtèrent devant la boutique. Chatillon alluma son cigare au regard d’une foule épaisse de citoyens éperdus, agitant leurs chapeaux et poussant des acclamations. Cette foule ne cessait de s’accroître ; la ville entière, marchant à la suite de son héros, le reconduisit, en chantant des hymnes, jusqu’au pavillon de l’Amirauté.

L’émiral avait un vieux compagnon d’armes dont les états de service étaient superbes, le subémiral Volcanmoule. Franc comme l’or, loyal comme son épée, Volcanmoule, qui se targuait d’une farouche indépendance, fréquentait les partisans de Crucho et les ministres de la république et disait aux uns et aux autres leurs vérités. M. Bigourd prétendait méchamment qu’il disait aux uns les vérités des autres. En effet il avait commis plusieurs fois des indiscrétions fâcheuses où l’on se plaisait à voir la liberté d’un soldat étranger aux intrigues. Il se rendait tous les matins chez Chatillon, qu’il traitait avec la rudesse cordiale d’un frère d’armes.

— Eh bien, mon vieux canard, te voilà popu-