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Dragon, rétablir l’ancien État, le bon État, pour l’honneur de la foi et l’exaltation de l’Église. Nous le pouvons si nous le voulons. Nous possédons de grandes richesses et nous exerçons de secrètes influences ; par nos journaux crucifères et fulminants, nous communiquons avec tous les ecclésiastiques des villes et des campagnes, et nous leur insufflons l’enthousiasme qui nous soulève, la foi qui nous dévore. Ils en embraseront leurs pénitents et leurs fidèles. Je dispose des plus hauts chefs de l’armée ; j’ai des intelligences avec les gens du peuple ; je dirige, à leur insu, les marchands de parapluies, les débitants de vin, les commis de nouveautés, les crieurs de journaux, les demoiselles galantes et les agents de police. Nous avons plus de monde qu’il ne nous en faut. Qu’attendons-nous ? Agissons !

— Que pensez-vous faire ? demanda Cornemuse.

— Former une vaste conjuration, renverser la république, rétablir Crucho sur le trône des Draconides.

Cornemuse se passa plusieurs fois la langue sur les lèvres. Puis il dit avec onction :

— Certes, la restauration des Draconides est désirable ; elle est éminemment désirable ; et, pour ma part, je la souhaite de tout mon cœur. Quant à la république, vous savez ce que j’en pense… Mais ne vaudrait-il pas mieux l’abandonner à son sort et la laisser mourir des vices