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naient par leur insolence et leur cupidité le fléau du pays qu’ils dépouillaient et avilissaient et le scandale d’un régime qu’ils ne songeaient ni à détruire ni à conserver, assurés qu’ils étaient d’opérer sans entraves sous tous les gouvernements. Toutefois leurs sympathies allaient au pouvoir le plus absolu, comme au mieux armé contre les socialistes, leurs adversaires chétifs mais ardents. Et de même qu’ils imitaient les mœurs des aristocrates, ils en imitaient les sentiments politiques et religieux. Leurs femmes surtout, vaines et frivoles, aimaient le prince et rêvaient d’aller à la cour.

Cependant la république gardait des partisans et des défenseurs. S’il ne lui était pas permis de croire à la fidélité de ses fonctionnaires, elle pouvait compter sur le dévouement des ouvriers manuels, dont elle n’avait pas soulagé la misère et qui, pour la défendre aux jours de péril, sortaient en foule des carrières et des ergastules et défilaient longuement, hâves, noirs, sinistres. Ils seraient tous morts pour elle : elle leur avait donné l’espérance.

Or, sous le principat de Théodore Formose, vivait dans un faubourg paisible de la ville d’Alca un moine nommé Agaric, qui instruisait les enfants et faisait des mariages. Il enseignait dans son école la piété, l’escrime et l’équitation aux jeunes fils des antiques familles, illustres par la