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Obnubile. Quoi ? vous, un peuple industriel, vous vous êtes engagés dans toutes ces guerres !

— Sans doute, répondit l’interprète : ce sont des guerres industrielles. Les peuples qui n’ont ni commerce ni industrie ne sont pas obligés de faire la guerre ; mais un peuple d’affaires est astreint à une politique de conquêtes. Le nombre de nos guerres augmente nécessairement avec notre activité productrice. Dès qu’une de nos industries ne trouve pas à écouler ses produits, il faut qu’une guerre lui ouvre de nouveaux débouchés. C’est ainsi que nous avons eu cette année une guerre de charbon, une guerre de cuivre, une guerre de coton. Dans la Troisième-Zélande nous avons tué les deux tiers des habitants afin d’obliger le reste à nous acheter des parapluies et des bretelles.

À ce moment, un gros homme qui siégeait au centre de l’assemblée monta à la tribune.

— Je réclame, dit-il, une guerre contre le gouvernement de la république d’Émeraude, qui dispute insolemment à nos porcs l’hégémonie des jambons et des saucissons sur tous les marchés de l’univers.

— Qu’est-ce que ce législateur ? demanda le docteur Obnubile.

— C’est un marchand de cochons.

— Il n’y a pas d’opposition ? dit le président. Je mets la proposition aux voix.