Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/198

Cette page a été validée par deux contributeurs.

républicanistes ou républicains. On les nommait aussi chosards et parfois fripouilles ; mais ce dernier terme était pris en mauvaise part.

La démocratie pingouine ne se gouvernait point par elle-même ; elle obéissait à une oligarchie financière qui faisait l’opinion par les journaux, et tenait dans sa main les députés, les ministres et le président. Elle ordonnait souverainement des finances de la république et dirigeait la politique extérieure du pays.

Les empires et les royaumes entretenaient alors des armées et des flottes énormes ; obligée, pour sa sûreté, de faire comme eux, la Pingouinie succombait sous le poids des armements. Tout le monde déplorait ou feignait de déplorer une si dure nécessité ; cependant les riches, les gens de négoce et d’affaires s’y soumettaient de bon cœur par patriotisme et par ce qu’ils comptaient sur les soldats et les marins pour défendre leurs biens et acquérir au dehors des marchés et des territoires ; les grands industriels poussaient à la fabrication des canons et des navires par zèle pour la défense nationale et afin d’obtenir des commandes. Parmi les citoyens de condition moyenne et de professions libérales, les uns se résignaient sans plainte à cet état de choses, estimant qu’il durerait toujours ; les autres en attendaient impatiemment la fin et pensaient amener les puissances au désarmement simultané.