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pareils, dans leurs armures bleues, à des écrevisses dressées sur leurs queues ; des hommes rouges coiffés de plumes de perroquets, tatoués de figures solaires et génésiques, faisant sonner sur leur dos un carquois de flèches empoisonnées ; des noirs tout nus, armés de leurs dents et de leurs ongles ; des pygmées montés sur des grues ; des gorilles, se soutenant d’un tronc d’arbre, conduits par un vieux mâle qui portait à sa poitrine velue la croix de la Légion d’honneur. Et toutes ces troupes, emportées sous les étendards de Trinco par le souffle d’un patriotisme ardent, volaient de victoire en victoire. Durant trente ans de guerres Trinco conquit la moitié du monde connu.

— Quoi, m’écriai-je, vous possédez la moitié du monde !

— Trinco nous l’a conquis et nous l’a perdu. Aussi grand dans ses défaites que dans ses victoires, il a rendu tout ce qu’il avait conquis. Il s’est fait prendre même ces deux îles que nous possédions avant lui, Ampélophore et la Mâchoire-du-Chien. Il a laissé la Pingouinie appauvrie et dépeuplée. La fleur de l’insule a péri dans ses guerres. Lors de sa chute, il ne restait dans notre patrie que les bossus et les boiteux dont nous descendons. Mais il nous a donné la gloire.

— Il vous l’a fait payer cher !

— La gloire ne se paye jamais trop cher, répliqua mon guide.