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allait de monastère en monastère, cherchant les manuscrits grecs et latins qui y étaient renfermés et il en faisait des copies. Il étudiait aussi la physique et l’alchimie. Il acquit une science universelle et découvrit notamment des secrets sur les animaux, les plantes et les pierres. On le surprit un jour enfermé avec une femme parfaitement belle qui chantait en s’accompagnant du luth et que, plus tard, on reconnut être une machine qu’il avait construite de ses mains.

Il passait souvent la mer d’Irlande pour se rendre dans le pays de Galles et y visiter les librairies des moustiers. Pendant une de ces traversées, se tenant la nuit sur le pont du navire, il vit sous les eaux deux esturgeons qui nageaient de conserve. Il avait l’ouïe fine et connaissait le langage des poissons. Or, il entendit que l’un des esturgeons disait à l’autre :

— L’homme qu’on voyait depuis longtemps, dans la lune, porter des fagots sur ses épaules est tombé dans la mer.

Et l’autre esturgeon dit à son tour :

— Et l’on verra dans le disque d’argent l’image de deux amants qui se baisent sur la bouche.

Quelques années plus tard, rentré dans son pays, Ægidius Aucupis y trouva les lettres antiques restaurées, les sciences remises en honneur. Les mœurs s’adoucissaient ; les hommes