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fait horreur. Il ne faut pas demander à un poète de s’attacher trop strictement à une doctrine physique et morale ; je suis Romain, d’ailleurs, et les Romains ne savent pas comme les Grecs conduire subtilement des spéculations profondes ; s’ils adoptent une philosophie, c’est surtout pour en tirer des avantages pratiques. Siron, qui jouissait parmi nous d’une haute renommée, en m’enseignant le système d’Épicure, m’a affranchi des vaines terreurs et détourné des cruautés que la religion persuade aux hommes ignorants ; j’ai appris de Zénon à supporter avec constance les maux inévitables ; j’ai embrassé les idées de Pythagore sur les âmes des hommes et des animaux, qui sont les unes et les autres d’essence divine ; ce qui nous invite à nous regarder sans orgueil ni sans honte. J’ai su des Alexandrins comment la terre, d’abord molle et ductile, s’affermit à mesure que Nérée s’en retirait pour creuser ses demeures humides ; comment insensiblement se formèrent les choses ; de quelle manière, tombant des nuées allégées, les pluies nourrirent les forêts silencieuses et par quel progrès enfin de rares animaux commencèrent à errer sur les montagnes innomées. Je ne pourrais plus m’accoutumer à votre cosmogonie, mieux faite pour les chameliers des sables de Syrie que pour un disciple d’Aristarque de Samos. Et que deviendrai-je dans le