comme l’empereur Trajan, à jouir dans le paradis chrétien de la béatitude éternelle.
— Tu vois qu’il n’en est rien, répondit l’ombre en souriant.
— Je te rencontre en effet, ô Virgile, parmi les héros et les sages, dans ces Champs-Élysées que toi-même as décrits. Ainsi donc, contrairement à ce que plusieurs croient sur la terre, nul n’est venu te chercher de la part de Celui qui règne là-haut ?
Après un assez long silence :
— Je ne te cacherai rien. Il m’a fait appeler ; un de ses messagers, un homme simple, est venu me dire qu’on m’attendait et que, bien que je ne fusse point initié à leurs mystères, en considération de mes chants prophétiques, une place m’était réservée parmi ceux de la secte nouvelle. Mais je refusai de me rendre à cette invitation ; je n’avais point envie de changer de place. Ce n’est pas que je partage l’admiration des Grecs pour les Champs-Élysées et que j’y goûte ces joies qui font perdre à Proserpine le souvenir de sa mère. Je n’ai jamais beaucoup cru moi-même à ce que j’en ai dit dans mon Énéide. Instruit par les philosophes et par les physiciens, j’avais un juste pressentiment de la vérité. La vie aux enfers est extrêmement diminuée ; on n’y sent ni plaisir ni peine ; on est comme si l’on n’était pas. Les morts n’y ont d’existence que celle que leur prêtent les vivants. Je préférai toutefois y demeurer.