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nelles. Cette pensée cruelle ne me quitta plus. Elle me poursuivait jusqu’en mes études, mes prières, mes méditations et mes travaux ascétiques. Songeant que Virgile était privé de la vue de Dieu et que peut-être même il subissait en enfer le sort des réprouvés, je ne pouvais goûter ni joie ni repos et il m’arriva de m’écrier plusieurs fois par jour, les bras tendus vers le ciel :

» — Révélez-moi, Seigneur, la part que vous fîtes à celui qui chanta sur la terre comme les anges chantent dans les cieux !

» Mes angoisses, après quelques années, cessèrent lorsque je lus dans un livre ancien que le grand apôtre qui appela les Gentils dans l’Église du Christ, saint Paul, s’étant rendu à Naples, sanctifia de ses larmes le tombeau du prince des poètes[1]. Ce me fut une raison de croire que Virgile, comme l’empereur Trajan, fut admis au Paradis pour avoir eu, dans l’erreur le pressentiment de la vérité. On n’est point obligé de le croire, mais il m’est doux de me le persuader. »

Ayant ainsi parlé, le vieillard Hilaire me souhaita la paix d’une sainte nuit et s’éloigna avec le frère Jacinthe.

  1. Ad Maronis mausoleum
    Ductus, fudit super eum
    Piae rorem lacrymae.

    Quem te, inquit, reddidissem,
    Si te vivum invenissem
    Poetarum maxime !