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vaux malades. Il était nécromancien, et l’on montre encore, en une certaine ville d’Italie, le miroir dans lequel il faisait apparaître les morts. Et pourtant une femme trompa ce grand sorcier. Une courtisane napolitaine l’invita de sa fenêtre à se hisser jusqu’à elle dans le panier qui servait à monter les provisions ; et elle le laissa toute la nuit suspendu entre deux étages.

Sans paraître avoir entendu ces propos :

— Virgile est un prophète, répliqua frère Hilaire ; c’est un prophète et qui laisse loin derrière lui les Sibylles avec leurs carmes sacrés, et la fille du roi Priam, et le grand divinateur des choses futures, Platon d’Athènes. Vous trouverez dans le quatrième de ses chants syracusains la naissance de Notre-Seigneur annoncée en un langage qui semble plutôt du ciel que de la terre[1].

» Au temps de mes études, lorsque je lus pour la première fois : jam redit et virgo, je me sentis plongé dans un ravissement infini ; mais tout aussitôt j’éprouvai une vive douleur à la pensée que, privé pour toujours de la présence de Dieu, l’auteur de ce chant prophétique, le plus beau qui soit sorti d’une lèvre humaine, languissait, parmi les Gentils, dans les ténèbres éter-

  1. Trois siècles avant l’époque où vivait notre Marbode on chantait dans les églises, le jour de Noël :

    Maro, vates gentilium,
    Da Christo testimonium.