Page:Anatole France - L’Île des Pingouins.djvu/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’y rappelle pas l’aspect naturel de la peau ; il semble plutôt que le vieux maître ait appliqué sur les visages de la Vierge et de l’Enfant les roses du Paradis. »

On voit, dans une telle critique, briller, pour ainsi dire, un reflet de l’œuvre qu’elle exalte ; cependant le séraphique esthète d’Édimbourg, Mac Silly, a exprimé d’une façon plus sensible encore et plus pénétrante l’impression produite sur son esprit par la vue de cette peinture primitive. « La madone de Margaritone, dit le vénéré Mac Silly, atteint le but transcendant de l’art ; elle inspire à ses spectateurs des sentiments d’innocence et de pureté ; elle les rend semblables aux petits enfants. Et cela est si vrai que, à l’âge de soixante-six ans, après avoir eu la joie de la contempler pendant trois heures d’affilée, je me sentis subitement transformé en un tendre nourrisson. Tandis qu’un cab m’emportait à travers Trafalgar square, j’agitais mon étui de lunettes comme un hochet, en riant et gazouillant. Et, lorsque la bonne de ma pension de famille m’eut servi mon repas, je me versai des cuillerées de potage dans l’oreille avec l’ingénuité du premier âge.

» C’est à de tels effets, ajoute Mac Silly, qu’on reconnaît l’excellence d’une œuvre d’art. »

Margaritone, à ce que rapporte Vasari, mourut à l’âge de soixante-dix-sept ans, regrettant