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pénétrèrent dans les souterrains de l’abbaye, se répandirent dans les cloîtres, dans les cuisines, dans l’église, dans les salles capitulaires, dans la librairie, dans la buanderie, dans les cellules, dans les réfectoires, dans les dortoirs, incendièrent les bâtiments, tuèrent et violèrent sans égard à l’âge ni au sexe. Les Pingouins, brusquement réveillés, couraient aux armes ; les yeux voilés d’ombre et d’épouvante, ils se frappaient les uns les autres, tandis que les Marsouins se disputaient entre eux, à coups de hache, les vases sacrés, les encensoirs, les chandeliers, les dalmatiques, les châsses, les croix d’or et de pierreries.

L’air était chargé d’une âcre odeur de chair grillée ; les cris de mort et les gémissements s’élevaient du milieu des flammes, et, sur le bord des toits croulants, des moines par milliers couraient comme des fourmis et tombaient dans la vallée. Cependant, Johannès Talpa écrivait sa chronique. Les soldats de Crucha, s’étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère, afin d’enfermer les Marsouins dans les bâtiments incendiés. Et, pour écraser l’ennemi sous l’éboulement des pierres de taille et des pans de murs, ils se servirent comme de béliers des troncs des plus vieux chênes. Les charpentes embrasées s’effondraient avec un bruit de tonnerre et les arceaux sublimes des nefs