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courte, s’est, avec les ans, abrégée et recourbée. Ma barbe blanche réchauffe ma poitrine. »

Avec une naïveté charmante, Talpa nous instruit de certaines circonstances de sa vie et de quelques traits de son caractère. « Issu, nous dit-il, d’une famille noble et destiné dès l’enfance à l’état ecclésiastique, on m’enseigna la grammaire et la musique. J’appris à lire sous la discipline d’un maître qui s’appelait Amicus et qui eût été mieux nommé Inimicus. Comme je ne parvenais pas facilement à connaître mes lettres, il me fouettait de verges avec violence, en sorte que je puis dire qu’il m’imprima l’alphabet en traits cuisants sur les fesses. »

Ailleurs Talpa confesse son inclination naturelle à la volupté. Voici en quels termes expressifs : « Dans ma jeunesse, l’ardeur de mes sens était telle que, sous l’ombre des bois, j’éprouvais le sentiment de bouillir dans une marmite plutôt que de respirer l’air frais. Je fuyais les femmes. En vain ! puisqu’il suffisait d’une sonnette ou d’une bouteille pour me les représenter. »

Tandis qu’il rédigeait sa chronique, une guerre effroyable, à la fois étrangère et civile, désolait la terre pingouine. Les soldats de Crucha, venus pour défendre le monastère de Beargarden contre les barbares marsouins, s’y établirent fortement. Afin de le rendre inexpugnable, ils percèrent des meurtrières dans les murs et enlevèrent de l’église