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pingouine, est, pour ainsi dire, transformé en un cierge allumé au regard du ciel, afin d’attirer la miséricorde divine sur l’auguste Crucha. »

On peut, par ces lignes et par quelques autres dont j’ai enrichi mon texte, juger de la valeur historique et littéraire des Gesta Pinguinorum. Malheureusement, cette chronique s’arrête brusquement à la troisième année du règne de Draco le Simple, successeur de Gun le Faible. Parvenu à ce point de mon histoire, je déplore la perte d’un guide aimable et sûr.

Durant les deux siècles qui suivirent, les Pingouins demeurèrent plongés dans une anarchie sanglante. Tous les arts périrent. Au milieu de l’ignorance générale, les moines, à l’ombre du cloître, se livraient à l’étude et copiaient avec un zèle infatigable les saintes Écritures. Comme le parchemin était rare, ils grattaient les vieux manuscrits pour y transcrire la parole divine. Aussi vit-on fleurir, ainsi qu’un buisson de roses, les Bibles sur la terre pingouine.

Un religieux de l’ordre de saint Benoît, Ermold le Pingouin, effaça à lui seul quatre mille manuscrits grecs et latins, pour copier quatre mille fois l’évangile de saint Jean. Ainsi furent détruits en grand nombre les chefs-d’œuvre de la poésie et de l’éloquence antiques. Les historiens sont unanimes à reconnaître que les couvents pingouins furent le refuge des lettres au moyen âge.