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— Ce casque, je l’ai taillé de mes mains, en forme de tête de poisson, dans la peau d’un veau marin. Pour le rendre plus formidable, je l’ai surmonté de cornes de bœuf, et je l’ai armé d’une mâchoire de sanglier ; j’y ai fait pendre une queue de cheval, teinte de vermillon. Aucun habitant de cette île n’en pouvait soutenir la vue, quand je m’en coiffais jusqu’aux épaules dans le crépuscule mélancolique. À son approche, femmes, enfants, jeunes hommes, vieillards fuyaient éperdus, et je portais l’épouvante dans la race entière des Pingouins. Par quels conseils ce peuple insolent, quittant ses premières terreurs, ose-t-il aujourd’hui regarder en face cette gueule horrible et poursuivre cette crinière effrayante ?

Et jetant son casque sur le sol rocheux :

— Péris, casque trompeur ! s’écria Kraken. Je jure par tous les démons d’Armor de ne jamais plus te porter sur ma tête.

Et ayant fait ce serment, il foula aux pieds son casque, ses gants, ses bottes et sa queue aux replis tortueux.

— Kraken, dit la belle Orberose, permettez-vous à votre servante d’user d’artifice pour sauver votre gloire et vos biens ? Ne méprisez point l’aide d’une femme. Vous en avez besoin, car les hommes sont tous des imbéciles.

— Femme, demanda Kraken, quels sont tes desseins ?