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— Que dit mon seigneur ? demanda la belle Orberose.

— On ne me craint plus, poursuivit Kraken, Autrefois tout fuyait à mon approche. J’emportais dans mon sac poules et lapins ; je chassais devant moi moutons et cochons, vaches et bœufs. Aujourd’hui ces rustres font bonne garde ; ils veillent. Tantôt, dans le village d’Anis, poursuivi par des laboureurs armés de fléaux, de faux et de fourches fières, je dus lâcher poules et lapins, prendre ma queue sur mon bras et courir à toutes jambes. Or, je vous le demande, est-ce une allure convenable à un dragon de Cappadoce, que de se sauver comme un voleur, sa queue sur le bras ? Encore, embarrassé de crêtes, de cornes, de crocs, de griffes, d’écailles, j’échappai à grand’peine à une brute qui m’enfonça un demi-pouce de sa fourche dans la fesse gauche.

Et ce disant, il portait la main avec sollicitude à l’endroit offensé.

Et après s’être livré quelques instants à des méditations amères :

— Quels idiots que ces Pingouins ! Je suis las de souffler des flammes au nez de tels imbéciles. Orberose, tu m’entends ?…

Ayant ainsi parlé, le héros souleva entre ses mains le casque épouvantable et le contempla longtemps dans un sombre silence. Puis il prononça ces paroles rapides :