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le procurateur de judée

blique, comme tout bon citoyen doit le faire.

Mais l’exilé de Tibère n’écoutait plus le vieux magistrat. Ayant vidé sa coupe de Falerne, il souriait à quelque image invisible.

Après un moment de silence, il reprit d’une voix très basse, qui s’éleva peu à peu :

— Elles dansent avec tant de langueur, les femmes de Syrie ! J’ai connu une Juive de Jérusalem qui, dans un bouge, à la lueur d’une petite lampe fumeuse, sur un méchant tapis, dansait en élevant ses bras pour choquer ses cymbales. Les reins cambrés, la tête renversée et comme entraînée par le poids de ses lourds cheveux roux, les yeux noyés de volupté, ardente et languissante, souple, elle aurait fait pâlir d’envie Cléopâtre elle-même. J’aimais ses danses barbares, son chant un peu rauque et pourtant si doux, son odeur d’encens, le demi-sommeil dans lequel elle semblait vivre. Je la suivais partout. Je me mêlais au monde vil de soldats, de bateleurs et de publicains dont elle était entourée. Elle disparut un jour, et je ne la revis plus. Je la cherchai longtemps dans les ruelles suspectes et dans les tavernes. On avait plus de peine à