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le petit soldat de plomb

Elle l’embrasse ; elle le porte dans le lit d’où il s’est échappé, puis elle revient s’asseoir devant le bonheur du jour. Elle regarde tour à tour la flamme qui brille dans l’âtre et les lettres d’où s’échappent des fleurs séchées. Il lui en coûte de les brûler. Il le faut pourtant. Car ces lettres, si elles étaient découvertes, feraient envoyer à la guillotine celui qui les a écrites et celle qui les a reçues. S’il ne s’agissait que d’elle, elle ne les brûlerait pas, tant elle est lasse de disputer sa vie aux bourreaux. Mais elle songe à lui, proscrit, dénoncé, recherché, qui se cache dans quelque grenier à l’autre bout de Paris. Il suffit d’une de ces lettres pour retrouver ses traces et le livrer à la mort.

Pierre dort chaudement dans le cabinet voisin ; la cuisinière et Nanon se sont retirées dans les chambres hautes. Le grand silence du temps de neige règne au loin. L’air vif et pur active la flamme du foyer. Julie va brûler ces lettres, et c’est une tâche qu’elle ne pourra accomplir, elle le sait, sans de profondes et tristes songeries. Elle va brûler ces lettres, mais non pas sans les relire.