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l’étui de nacre

blique lui semblait une dangereuse espèce de brigand.

Enfin, je rejoignis mon corps sur le bord de la Meuse. On me donna une épée. J’en rougis de plaisir et me crus plus grand d’un pied. Ne m’en raillez pas ; c’est là de la vanité, j’en conviens ; mais c’est celle qui fait les héros. À peine équipés nous reçûmes l’ordre de partir pour Maubeuge.

Nous arrivâmes sur la Sambre par une nuit noire. Tout se taisait. Nous vîmes des feux allumés sur les collines, de l’autre côté de la rivière. J’appris que c’étaient les bivouacs de l’ennemi. Et mon cœur battit à se rompre.

C’est d’après Tite-Live que je m’étais fait une image de la guerre. Or, je vous atteste, bois, prés, collines, rives de la Sambre et de la Meuse, cette image était fausse. La guerre, telle que je la fis, consiste à traverser des villages incendiés, à coucher dans la boue, à entendre siffler des balles pendant les longues et mélancoliques factions de la nuit ; mais de combats singuliers et de batailles rangées, je n’en vis point. Nous dormions peu et nous ne