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que mon frère soit relâché. Mon ami, en quel temps vivons-nous ! M. de Saint-Ange s’éloigne de nous : notre malheur l’importune ; et M. Mille craindrait de fréquenter des suspects. Qui l’eût dit, mon ami ; qui l’eût dit ? Vous souvient-il du jour de la Fédération ? Nous étions tous animés de sentiments fraternels, et j’avais une bien belle robe.

Elle me quitta en pleurant. Je descendis l’escalier sur ses pas pour quérir un témoin, et j’étais, à vrai dire, fort embarrassé d’en trouver un. En me prenant le menton dans les mains, je m’avisai que j’avais une barbe de huit jours qui pourrait me rendre suspect, et je me rendis tout de suite chez mon barbier au coin de la rue Saint-Guillaume.

Ce barbier était un très bon homme nommé Larisse, long comme un peuplier, agité comme un tremble. Quand j’entrai dans son échoppe, il accommodait un marchand de vin du quartier, qui de sa bouche barbouillée de savon vomissait toutes sortes de gentillesses.

— Joli merlan des dames, disait-il, on te coupera la tête et on la mettra au bout d’une pique, pour satisfaire tes aspirations aristocra-