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mémoires d’un volontaire

Le soleil qui descendait alors à l’horizon dans les nuées ensanglantées répandait des flammes liquides sur les eaux du plus illustre des fleuves. Salut, dernier rayon de mes beaux jours !

Oh ! dans quel sombre hiver j’entrai ce soir-là ! Quand je m’enfermai dans ma petite chambre, sous les combles de l’hôtel de Puybonne, je crus poser sur moi la pierre de mon tombeau.

— C’est fait ! me dis-je en sanglotant, je n’aime plus Amélie. Mais d’où vient que je suis obligé de me le redire sans cesse ? D’où vient que, ne l’aimant plus, je ne puis songer qu’à elle ? Pourquoi pleuré-je avec tant d’amertume mon pauvre amour déraciné ?

De cruelles angoisses vinrent se joindre aux tristesses de mon cœur. L’état des affaires publiques me désespérait. Ma détresse était extrême et, loin d’espérer obtenir du travail, j’étais réduit à me cacher pour n’être point arrêté comme suspect.

M. Mille n’avait pas reparu à l’hôtel depuis le 10 Août. Je ne sais trop où il logeait ; mais il ne manquait pas une seule séance de la