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l’étui de nacre

porter à la mère d’Amélie ses scrupules et ses aveux. J’étais désespéré ; je ne souffrais pas, j’éprouvais seulement de la surprise, de la honte et de la crainte en me sentant survivre au meilleur de moi-même, à mon amour.

Comme je traversais le Pont-Neuf pour rentrer dans mon vieux faubourg désert, je vis sur le terre-plein, au pied du socle sur lequel s’élevait naguère la statue de Henri IV, un chanteur de l’Académie de musique qui disait l’hymne des Marseillais d’une voix pathétique. La foule assemblée, tête nue, reprenait le refrain en chœur : Aux armes, citoyens ! Mais quand le chanteur entonna le dernier couplet : Amour sacré de la Patrie, d’une voix lente et profonde, tout le peuple frémit dans une sainte ivresse. À ce vers :

Liberté, liberté chérie…

je tombai à genoux sur le pavé, et je vis que tout le peuple s’était prosterné avec moi. Ô Patrie ! Patrie ! qu’y a-t-il en toi pour que tes enfants t’adorent ainsi ? Au-dessus de la boue et du sang s’élève ton image radieuse. Ô Patrie ! heureux ceux qui meurent pour toi.