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mémoires d’un volontaire

— Les patriotes ne doivent quitter Paris qu’après avoir exterminé les traîtres.

Ces paroles sortaient d’une bouche que je reconnus aussitôt. Je ne pouvais m’y tromper. Cette tête énorme et chancelante sur d’étroites épaules, cette face plate et livide, toute cette personne chétive et monstrueuse, c’était mon ancien maître, le Père Joursanvault. Une méchante veste avait remplacé sa soutane. Sa tête était coiffée d’un bonnet rouge. Son visage suait la haine et l’apostasie. Je détournai le mien, mais je ne pus me défendre d’entendre l’ancien oratorien qui poursuivait sa harangue en ces termes :

— On n’a pas assez versé de sang dans les glorieuses journées de Septembre. Le peuple, toujours magnanime, a trop épargné les conspirateurs et les traîtres.

À ces terribles paroles, je m’enfuis épouvanté. Enfant, je soupçonnais M. Joursanvault de n’être ni juste ni bienveillant. Je ne l’aimais pas. Mais j’étais bien loin de deviner la noirceur de son âme. En découvrant que mon ancien maître n’était qu’un vil scélérat, j’éprouvai une douleur amère.