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l’étui de nacre

je vis M. Mille qui, debout dans un café, chantait au milieu de patriotes et de citoyennes. Vêtu en garde national, il pressait de son bras gauche une jeune femme que je reconnus pour une des bouquetières de Ramponneau, et chantait sur l’air de Lisette :

S’il est douze cents députés
Qui brisent nos entraves,
Le vœu de cent mille beautés
Est de nous rendre esclaves :
Toutes nos dames ont regret
À l’ancien régime,
Et louer un nouveau décret
C’est perdre leur estime.

Un murmure d’approbation accueillit ce couplet. M. Mille sourit, s’inclina légèrement, puis se tournant vers sa compagne, il continua de chanter :

Ah ! ne les imitez jamais,
Adorable Sophie,
Et connaissez mieux les bienfaits
De la philosophie :
C’est elle qui dicte des lois
Aux Solons de la France,
Et qui fera dans tous ses droits
Rentrer un peuple immense.

On applaudit et M. Mille, tirant de sa poche