Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
mémoires d’un volontaire

avec plus de douceur qu’elle n’avait fait encore. Ses yeux se tournèrent vers le ciel et il en coula une larme. Cette vue me jeta dans un trouble inexprimable. Je me jetai à ses pieds, je saisis sa main et la baignai de pleurs.

— Ô mon frère ! me dit-elle en s’efforçant de me relever.

Je ne compris pas en ce moment la cruelle douceur de ce nom de frère. Je lui parlais avec toute la sensibilité de mon âme.

— Oui, m’écriai-je, ces temps sont affreux. Les hommes sont méchants, fuyons-les. Le bonheur est dans la solitude. Il est encore des îles lointaines où l’on peut vivre innocent et caché, allons-y. Allons chercher le bonheur à l’ombre des lataniers, sur le tombeau de Virginie.

Tandis que je parlais ainsi, elle regardait au loin et semblait rêveuse ; mais je ne devinai pas si elle faisait le même rêve que moi.