Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/222

Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
l’étui de nacre

de la petite porte du jardin. Mais pendant les exécrables journées de Septembre, quand j’appris que des centaines de prisonniers avaient été massacrés au milieu de l’indifférence publique, sous le regard approbateur des magistrats, l’horreur l’emporta en moi sur la crainte et je rougis de prendre tant soin de ma sûreté et de défendre si prudemment une existence que devaient désoler les crimes de ma patrie.

Je ne craignais plus de me montrer dans les rues ni de croiser les patrouilles. Pourtant j’aimais la vie. Il y avait un charme puissant à mes angoisses et à mes douleurs. Une image délicieuse effaçait à mes yeux tout le sombre tableau qui se déroulait devant moi. J’aimais Amélie, et son jeune visage, multiplié dans mon imagination, l’enchantait tout entière. Je l’aimais sans espoir. Pourtant il me semblait que j’étais moins indigne d’elle, depuis que je m’étais conduit en homme de cœur. Je me flattais que, du moins, mes périls me rendraient intéressant à ses yeux.

C’est dans ces dispositions que j’allai la voir un matin. Je la trouvai seule. Elle me parla