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mémoires d’un volontaire

vait sortir de la ville épouvantable. Des patrouilles d’hommes armés de piques parcouraient les rues. On ne parlait que de visites domiciliaires. J’entendais de ma chambre, située dans les combles de l’hôtel, les pas des citoyens armés, le bruit des piques et des crosses de fusil contre les portes voisines, les plaintes et les cris des habitants qu’on traînait aux sections. Et quand les sans-culottes avaient tout le jour terrorisé les âmes paisibles du quartier, ils se rendaient dans la boutique d’un épicier, mon voisin ; ils y buvaient, y dansaient la carmagnole, chantaient le Ça ira jusqu’au matin, et il m’était impossible de fermer l’œil de la nuit. L’inquiétude rendait mon insomnie plus cruelle. Je craignais que quelque valet ne m’eût dénoncé et qu’on ne vînt pour m’arrêter.

Il y avait alors une fièvre de délation. Pas un marmiton qui ne se crût un Brutus pour avoir trahi les maîtres qui le nourrissaient.

J’étais constamment sur mes gardes : un serviteur fidèle devait m’avertir au premier coup de marteau. Je me jetais habillé sur mon lit ou dans un fauteuil. J’avais sur moi la clef