Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
mémoires d’un volontaire

Hélas ! M. Mille n’avait pas ce don de lire dans l’avenir, que l’antiquité attribuait aux poètes. Nos jours heureux étaient désormais comptés et nos belles illusions devaient tomber toutes. Au lendemain de la Fédération, la nation se réveilla cruellement divisée. Le roi, faible et borné, répondait mal aux espérances infinies que le peuple avait mises en lui.

L’émigration criminelle des princes et des nobles appauvrissait le pays, irritait le peuple et menait à la guerre. Les clubs dominaient l’Assemblée. Les haines populaires devenaient de plus en plus menaçantes. Si la nation était en proie au trouble, la paix ne régnait pas dans mon cœur. J’avais revu Amélie. J’étais devenu l’hôte assidu de sa famille et il n’y avait pas de semaine que je n’allasse deux ou trois fois dans la maison qu’ils habitaient dans la rue Neuve-Saint-Eustache. Leur fortune, autrefois brillante, avait beaucoup souffert de la Révolution, et je puis dire que le malheur mûrit notre amitié. Amélie, devenue pauvre, m’en parut plus touchante et je l’aimai. Je l’aimai sans espoir. Qu’étais-je,