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l’étui de nacre

M. Mille, je me sens ravi par l’enthousiasme poétique ! Je vais composer une ode qui vous sera dédiée. Écoutez :

Ami, vois-tu ce peuple immense,
Comme il accourt de toutes parts :
Des artisans chers à la France
Vois-tu flotter les étendards ?
C’est à l’autel de la Patrie
Que l’amour dirige leurs pas ;
Tous vont à leur mère chérie
Se dévouer jusqu’au trépas.

M. Mille récitait ces vers avec chaleur ; il était petit, mais il faisait de grands gestes. Il portait un habit amarante. Toutes ces circonstances le faisaient remarquer, et quand il eut achevé cette strophe, un cercle de curieux l’entourait. On l’applaudissait. Il continua, transporté :

Ouvre les yeux, fixe ton âme
Sur ce spectacle solennel…

Mais à peine avait-il prononcé ces mots qu’une dame coiffée d’un vaste chapeau noir à plumes se jeta dans ses bras et le pressa contre le fichu qui lui couvrait la gorge.

— Que cela est beau ! s’écria-t-elle. Monsieur Mille, souffrez que je vous embrasse.

Un capucin qui, son menton sur le manche