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levait les basques, me donna si bon air, que je ne doutai plus de ma fortune. Le Père Féval me fit une lettre pour le duc de Puybonne, et le 12 juillet de l’an de grâce 1789, je montai dans le coche, en pleurant, chargé de livres latins, de galettes, de lard et de baisers. J’entrai dans Paris par le faubourg Saint-Antoine, que je trouvai plus hideux que les plus misérables hameaux de ma province. Je plaignais de tout mon cœur et les malheureux qui habitaient là et moi qui avais quitté la maison et le verger de mon père pour chercher fortune au milieu de tant d’infortunés. Un négociant en vins qui avait pris le coche avec moi, m’expliqua pourtant que tout ce peuple était dans l’allégresse parce qu’on avait détruit une vieille prison, nommée la Bastille-Saint-Antoine. Il m’assura que M. Necker ramènerait bientôt l’âge d’or. Mais un perruquier qui avait entendu notre conversation affirma à son tour que M. Necker perdrait la nation, si le roi ne le renvoyait pas tout de suite.

— La Révolution, ajouta-t-il, est un grand mal. On ne se coiffe plus. Et un peuple qui ne fait pas de coiffures est au-dessous des bêtes.