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mémoires d’un volontaire

Nous fûmes reçus dans une grande salle blanchie à la chaux, par le régent, le Père Féval, de l’Oratoire. C’était un homme jeune encore, de belle taille, dont le sourire me rassura. Mon père montrait en toute rencontre une rondeur, une vivacité et une franchise qui ne se démentaient jamais.

— Mon révérend, dit-il en me désignant de la main, je vous amène mon fils unique, Pierre, du nom de son parrain, et Aubier, du nom que je lui ai donné sans tache, tel que je l’avais reçu de feu mon père. Pierre est mon unique garçon, sa mère, Madeleine Ordalu, m’ayant donné un fils et trois filles, que j’élève de mon mieux. Mes filles auront le sort qu’il conviendra à Dieu premièrement et ensuite à leurs maris de leur faire. On les dit jolies et je ne puis me défendre de le croire. Mais la beauté n’est qu’un bien trompeur dont il ne faut pas se soucier. Elles seront assez belles si elles sont assez bonnes. Quant à mon fils Pierre, ici présent (en prononçant ces paroles mon père posa sa main si lourdement sur mon épaule, qu’il me fit fléchir), moyennant qu’il craigne Dieu et sache le latin, il sera prêtre.