Page:Anatole France - L’Étui de nacre.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
174
l’étui de nacre

vingtaine de pas avec moi, il s’arrêta et, me posant la main sur le bras :

» — Voyez-vous, docteur, me dit-il, j’ai l’idée que c’est dans l’intérieur que ça le tient.

» Je poursuivis tristement mon chemin, et, pour la première fois, l’envie de revoir mes poiriers et mes abricotiers ne me fit point hâter le pas. Pour la première fois, après quarante ans de pratique, j’étais troublé dans mon cœur par un de mes malades, et je pleurais en dedans de moi l’enfant que je ne pouvais sauver.

» Une angoisse cruelle vint bientôt s’ajouter à ma douleur. Je craignais que mes soins ne fussent mauvais. Je me surprenais oubliant le jour les prescriptions de la veille, incertain dans mon diagnostic, timide et troublé. Je fis venir un de mes confrères, un homme jeune et habile, qui exerce dans la ville voisine. Quand il vint, le pauvre petit malade, devenu aveugle, était plongé dans un coma profond.

» Il mourut le lendemain.

» Un an s’étant écoulé sur ce malheur, il m’arriva d’être appelé en consultation au chef-lieu. Le fait est singulier. Les causes qui l’ont amené sont bizarres ; mais, comme elles n’ont