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le manuscrit d’un médecin de village

ligence. Je ne leur ai pas donné ma pitié. À Dieu ne plaise que je mette un don quelconque, si précieux qu’il soit, au-dessus du don de la pitié ! La pitié, c’est le denier de la veuve ; c’est l’offrande incomparable du pauvre qui, plus généreux que tous les riches de ce monde, donne avec ses larmes un lambeau de son cœur. C’est pour cela même que la pitié n’a rien à faire dans l’accomplissement d’un devoir professionnel, si noble que soit la profession.

» Pour entrer dans des considérations plus particulières, je dirai que les hommes au milieu desquels je vis inspirent dans leur malheur un sentiment qui n’est pas la pitié. Il y a quelque chose de vrai dans cette idée qu’on n’inspire que ce qu’on éprouve. Or, les paysans de nos contrées ne sont point tendres. Durs aux autres et à eux-mêmes, ils vivent dans une gravité morose. Cette gravité se gagne, et l’on se sent près d’eux l’âme triste et morne. Ce qu’il y a de beau dans leur physionomie morale, c’est qu’ils gardent très pures les grandes lignes de l’humanité. Comme ils pensent rarement et peu, leur pensée revêt