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le manuscrit d’un médecin de village

quitter à jamais en présence de ces misères qu’elle nous a donné l’envie de soulager. Un médecin qu’elle accompagne au chevet des malades n’a ni le regard assez net ni les mains assez sûres. Nous allons où la charité du genre humain nous envoie, mais nous y allons sans elle. Au reste, les médecins acquièrent très facilement, pour la plupart, l’insensibilité qui leur est nécessaire. C’est une grâce d’état qui ne saurait longtemps leur manquer. Il y a plusieurs raisons à cela. La pitié s’émousse vite au contact de la souffrance ; on songe moins à plaindre les misères qu’on peut soulager ; enfin, la maladie présente au médecin une succession intéressante de phénomènes.

» Du temps que je commençais à pratiquer la médecine, je l’aimais avec passion. Je ne voyais dans les maux qu’on me découvrait qu’une occasion d’exercer mon art. Quand les affections se développaient pleinement, selon leur type normal, je leur trouvais de la beauté. Les phénomènes morbides, qui présentaient d’apparentes anomalies, excitaient la curiosité de mon esprit ; enfin j’aimais la maladie. Que dis-je ? Au point de vue où je me