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l’étui de nacre

— Je crois cependant, mon cher Wood, que, pour la liberté de penser…

— Oh ! non, vous n’êtes pas, comme l’Angleterre, un peuple de théologiens. Mais laissons cela. Je veux vous faire, en très peu de mots, l’histoire de mes idées. Quand vous m’avez connu, il y a quinze ans, j’étais correspondant du World, de Londres. Le journalisme est, chez nous, plus lucratif et plus considérable que chez vous. Ma situation était bonne, et j’en tirais, je crois, le meilleur parti possible. J’entends les affaires ; j’en fis d’excellentes, et je conquis, en peu d’années, deux choses très enviables : l’influence et la fortune. Vous savez que je suis un homme pratique.

» Je n’ai jamais marché sans but. Et j’étais surtout préoccupé d’atteindre le but suprême, le but de la vie. D’assez fortes études théologiques, entreprises dans ma jeunesse, m’indiquaient que ce but est situé au-delà de l’existence terrestre. Mais il me restait des doutes quant aux moyens pratiques de l’atteindre. J’en souffrais cruellement. L’incertitude est tout à fait insupportable à un homme de mon caractère.