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l’étui de nacre

Mais quand, se tenant sur les mains la tête en bas, il jetait en l’air et rattrapait avec ses pieds six boules de cuivre qui brillaient au soleil, ou quand, se renversant jusqu’à ce que sa nuque touchât ses talons, il donnait à son corps la forme d’une roue parfaite et jonglait, dans cette posture, avec douze couteaux, un murmure d’admiration s’élevait dans l’assistance et les pièces de monnaie pleuvaient sur le tapis.

Pourtant, comme la plupart de ceux qui vivent de leurs talents, Barnabé de Compiègne avait grand-peine à vivre.

Gagnant son pain à la sueur de son front, il portait plus que sa part des misères attachées à la faute d’Adam, notre père.

Encore, ne pouvait-il travailler autant qu’il aurait voulu. Pour montrer son beau savoir, comme aux arbres pour donner des fleurs et des fruits, il lui fallait la chaleur du soleil et la lumière du jour. Dans l’hiver, il n’était plus qu’un arbre dépouillé de ses feuilles et quasi mort. La terre gelée était dure au jongleur. Et, comme la cigale dont parle Marie de France, il souffrait du froid et de la faim