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taires. Mais si MM. Geay et Le Nordez s’étaient conformés à la bulle Apostolicæ Sedis, le Saint-Père soufflait deux évêques au ministre des Cultes, sans même que celui-ci s’en aperçût.

M. Geay a du jugement ; M. Le Nordez en a plus encore ou du moins il en fait un usage plus rapide. Il s’aperçut le premier que, pour un évêque, M. Dumay n’est pas une autorité comparable à Monseigneur Merry del Val, et que s’il n’est pas possible de satisfaire en même temps la curie romaine et les bureaux des Cultes, c’est à la curie qu’il vaut mieux obéir. Il partit pour Rome, M. Geay l’y suivit. Le ministre leur retira leur traitement et le Pape leur juridiction. M. Geay, fit en partant, cette déclaration solennelle :

« Institué évêque de Laval par le concours des deux pouvoirs, le civil et le religieux, dit-il, je ne me suis pas cru le droit d’abandonner mes fonctions à l’insu ou à l’encontre de l’un d’eux… Je pars avec le regret que le sacrifice de ma personne ne puisse être le gage de leur conciliation, avec l’amertume aussi que tant de catholiques s’acharnent à rendre incompatibles la fidélité d’un bon évêque et le devoir d’un bon Français ».

Ces paroles sont d’un juste et touchent par leur douceur. Mais s’il était possible d’entrer jusqu’au fond dans l’âme et dans le cœur de ce prélat vraiment constitutionnel, j’imaginerais qu’au moment de passer les Alpes, il s’est retourné vers sa patrie selon la chair et qu’il a pensé tristement :

« J’ai fait une visite à M. Dumay et je vais compa-